Entre Chemin de Croix et Passion
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Chemin de Croix
du vendredi 8 novembre 1878
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Récit de l'Abbé Gouron
- Un autre chemin de Croix
Chemin de Croix du
vendredi 8 novembre 1878
Le vendredi, à une heure moins le quart
nous sommes revenus à La Fraudais. Nous entrons. Elle est en prière,
dans son cabinet, debout cette fois, car elle se lève tous les vendredis
pour faire le chemin de croix, car ailleurs elle est toujours au lit.
L’entrée du petit sanctuaire nous est
interdite. Une heure sonne, et aussitôt l’extase commence. Toutes les
portes nous sont ouvertes. Elle est là, toute seule, à genoux, priant
devant un crucifix. A peine sommes-nous assis qu’elle se détourne vers
nous, les yeux fermés pour nous demander notre bénédiction. Tous trois,
nous nous levons. Pour moi, je disais à voix basse :
" Benedicat te omnipotens Deus, Pater et
Filius, etc... ". Au moment
où je disais
" Pater ",
la stigmatisée lève la main droite, l’élève au-dessus du front - au
dessus de sa couronne d’épines - et fait un des plus beaux signes de
croix que j’ai jamais vus.
Des yeux du corps elle ne nous avait
jamais connus et cependant elle savait que nous étions là, elle savait
que nous étions prêtres. Mais examinons-la pendant qu’elle est à genoux,
faisant son grandiose signe de croix. Le dos de sa main droite est tout
couvert d’un sang très rouge, le stigmate dorsal a saigné, le corps est
penché en avant, les yeux restent fermés, la figure porte un reflet
indéfinissable de piété, d’amour et de souffrances. Elle se signe sous
notre bénédiction sacerdotale et aussitôt elle se détourne vers l’ouest,
étend les bras en croix et commence une prière qui dure environ dix
minutes. Dans cette prière, elle disait à son Bien-Aimé d’une voix forte
et vibrante pourquoi elle allait Le suivre sur le chemin du Calvaire.
C’était pour la conversion des pécheurs, pour le triomphe de l’Église,
pour la délivrance du Pape. C’était pour faire amende honorable de tous
les sacrilèges qui se font sur la terre. Et d’une voix de plus en plus
vibrante, elle crie à son divin Époux de pardonner les sacrilèges, de
pardonner les blasphèmes, et les violations de la loi du dimanche, de
pardonner l’indifférence si froide d’une foule de chrétiens.
Pendant qu’elle est ainsi, priant les
bras en croix, ses yeux se sont ouverts largement. La pupille est fixe
et tournée vers le ciel de manière à se cacher un peu sous la paupière
supérieure ; la face s’anime et se transfigure de plus en plus. Il est
réellement impossible de rendre l’expression de cette figure. Il semble
que Marie-Julie regarde en haut avec l’attention la plus profonde, elle
paraît absorbée dans ce qu’elle voit, et cependant je me suis penché sur
elle et j’ai vu que ses prunelles sont si extraordinairement dilatées
qu’il lui est impossible de rien voir. C’est la contemplation dans son
plus haut degré.
Après cette prière, ses yeux se
referment et elle se penche en avant pour prendre sa croix. Elle est là,
devant elle, cette petite croix en cuivre, longue environ de vingt
centimètres. De ses deux mains, elle la prend avec efforts par le pied
et ne peut pas même la remuer. Elle se replie sur elle-même et fait un
effort plus grand, la croix bouge mais n’est pas soulevée. Elle redouble
d’efforts, ses mains rougies de sang, se crispent sur cette croix qui
semble si pesante, sa figure devient rouge, la croix se détache de
terre, monte horizontalement et retombe bientôt à terre. On remarque sur
tous ses traits une fatigue évidente. Cette petite croix aurait-elle
donc le poids de celle de notre Divin Maître !
Enfin, après deux longues minutes de
travail, tout le sang de la stigmatisée semble affluer à sa figure, ses
lèvres sont serrées, son haleine se fait entendre, ses bras tremblent
sous le fardeau, mais la croix s’élève, prend une position verticale et
va descendre sur son épaule ; elle chancelle en arrière, en avant, et ne
réussit à prendre son équilibre que lorsque la croix repose sur son
épaule gauche. Alors, les deux mains fortement attachées au pied de
l’instrument de supplice, elle commence à marcher à genoux. C’est le
chemin de croix qui commence, inutile de dire qu’elle est en extase et
qu’elle y sera jusqu’à cinq heures et demie.
Elle va, la face tournée vers l’ouest. A
chaque pas, ses genoux frappent fortement le plancher du cabinet, sa
démarche est très lourde. Arrivée à l’angle, elle revient sur ses pas,
allant toujours de lest à l’ouest, puis de l’ouest à l’est. Elle porte
ainsi sa croix pendant environ dix minutes. Bientôt, elle est fatiguée,
elle chancelle, sa figure naturellement ronde s’allonge de plus en plus,
elle est haletante.
C’est alors qu’elle se détourne vers
nous et nous lui présentons une croix bénite à baiser. Fortifiée par ce
secours, elle recommence sa course pesante. Mais elle est très
haletante, quelquefois elle veut avancer et ne peut le faire. Alors son
corps chancelant retombe en arrière, en avant, ou à l’appui de la
cloison. Elle fait cependant quelques pas encore. Sa respiration se fait
entendre très distinctement. Tout à coup, elle tombe sur la face dans la
direction de l’ouest, en faisant un bruit très fort, un bruit
extraordinaire ressemblant à celui d’une planche tombant sur un
plancher. Là, les bras étendus, la face contre terre, pendant vingt
minutes, elle parle à son Bien-Aimé. Ses paroles coulent rapidement de
ses lèvres, avec une force, une onction, un amour, une éloquence
extraordinaires.
- Douce croix, s’écrie-t-elle, si lourde, si chargée
des péchés des hommes, vous êtes sur l’Épaule de mon Dieu ! C’est Vous,
mon cher Jésus qui voulez la porter et c’est cependant nous qui sommes
les coupables. Oh ! embrasez-moi.
Plus loin, elle retrace une vision qui
lui passe sous les yeux et s’écrie :
- Pourquoi tous ces charbons ardents
qui, dans l’espace du milieu des ténèbres se détachent de la croix, et
se répandent partout sur la terre ? Pourquoi, si ce n’est pour faire
entrer dans les âmes un rayon d’amour, pour les embraser.
Alors elle prie pour les prêtres qui
sont présents, pour toute l’assistance et aux intentions qu’elle a
énumérées au commencement.
Marie-Julie s’est relevée. Elle continue
son chemin de croix en silence. Sa physionomie s’allonge et se
transfigure, sa fatigue devient de plus en plus grande. C’est ici que se
place une scène très attendrissante. Au milieu du parcours, elle se
détourne encore vers nous, pliant sous le poids de sa croix. Nous lui
présentons un petit crucifix à baiser, mais ce n’est pas cela. Elle
cherche quelqu’un pour l’aider à porter sa croix ; elle est devant
l’Abbé Le Golf, et elle place sur son épaule sacerdotale la croix
qu’elle porte elle-même. En ce moment, elle est dans le ravissement de
l’extase, elle lit dans le ciel et prononce à voix basse quelques
paroles que l’Abbé Le Golf entend très bien et que j’entends moi aussi.
Elle commence en ces termes :
- Mon frère du Tiers-Ordre de
Saint-François, je vois tous vos désirs écrits dans le Divin Coeur de
Jésus. Etc.
Qui donc lui avait dit que l’Abbé Le
Golf avait eu l’idée d’écrire sur une feuille de papier les grâces qu’il
désirait obtenir ? Moi-même, je ne le savais pas. Et cependant, la
stigmatisée lui a parlé en ces termes.
De l’Abbé Le Golf, elle vient à moi, le
regard toujours fixé dans le ciel, le coeur haletant et la bouche
entrouverte. Je me jette à genoux et aussitôt la croix pèse sur son
épaule gauche. Elle me dit à voix basse, mais de manière à être entendue
de l’Abbé Le Golf lui-même :
- Jésus-Christ vous dit qu’Il est
content. Priez pour moi.
Elle passe alors à l’Abbé Bihan et lui
dit quelques paroles que nous n’entendons pas. Puis elle fait le tour de
l’auditoire en murmurant une parole ou deux à l’oreille de chacun. Il y
avait là un Comte et une Comtesse venus de Cambrai, deux personnes de
Blain, la mère Jahenny et, à la porte, l’envoyé de l’Archevêque de Tours
qui, étant arrivé le dernier, avait pris une chaise qu’il plaça dans la
cuisine mais en face de l’entrée du cabinet ; la croix lui fut imposée
comme aux autres. Après cette scène si frappante, Marie-Julie recommence
son chemin de croix en martelant le plancher de ses genoux. Bientôt elle
est à bout de forces ; elle tombe comme la première fois en frappant le
plancher de son front et de ses deux coudes, et en reproduisant le bruit
que j’ai déjà mentionné. Prosternée la face contre terre, elle commence
par épancher l’amour dont son coeur déborde pour son Bien-Aimé Jésus,
elle salue la croix comme source de toutes consolations. Puis, jetant un
coup d’oeil d’ensemble sur le genre humain, elle dit que l’homme dans
son enfance n’aime pas la croix, dans sa jeunesse il la rejette, dans sa
vieillesse il la prend. Heureuse vieillesse qui prépare à l’éternité
bienheureuse.
Maintenant, elle jette son regard sur
les temps actuels. Il n’y a plus de respect, dit-elle, pour Dieu ni pour
ses ministres sur la terre. Les sacrilèges, les blasphèmes, les
violations du dimanche, voilà ce qui couvre la terre. Puis, d’une voix
plus vibrante que jamais, elle apostrophe les pêcheurs :
- Écoute, pêcheur, jusques à quand
resteras-tu dans ce terrible état ?
Bientôt la stigmatisée détourne les
regards de son âme de cette multitude de pécheurs qui la font frémir, et
elle considère les justes. Hélas, parmi eux, elle trouve encore de
grands travers :
- On veut bien souffrir,
s’écrit-elle, mais on veut toujours choisir sa croix. On murmure quand
on la reçoit arbitrairement de la main de Jésus, ou bien on ôte le
crucifix et l’on porte seulement le bois de la croix. O doctrine
perverse, dit-elle, et cependant doctrine si répandue ! On achète un
crucifix de luxe qu’on montre mais qu’on ne porte pas dans le coeur.
Toutes ces idées sont développées avec
une facilité et une diction admirables. Alors elle enseigne la dévotion
à la croix, source de bénédictions, de consolations, de parfums
délicieux. Elle enseigne spécialement la dévotion à la douleur de
l’Épaule. Elle-même a cette dévotion et elle en a tiré de grandes
grâces. Puis elle cite une prière très efficace pour obtenir des
secours. La voici, du moins en substance :
- O Jésus aimant, ô doux Agneau,
c’est moi qui Vous ai causé cette douleur de l’Épaule, cependant au nom
de cette douleur, donnez-moi vos faveurs.
Puis, pour exciter l’ardeur de l’amour
pour la croix, elle annonce que Jésus demande et cherche des âmes
amoureuses de la croix. Et soudain, emportée par son élan d’amour, elle
dit d’une voix à faire couler les larmes :
- O Jésus, ô mon Bien-Aimé, ô mon
cher Sauveur, me voici, prenez-moi. Après la victime du Sacré-Coeur, je
suis la victime de la croix. Faites-moi souffrir, crucifiez-moi,
misérable pécheresse. C’est au pied de la croix que j’ai tout appris,
c’est là que je veux vivre et mourir.
Tout ceci dure environ une demi-heure,
après quoi la stigmatisée se relève doucement. Ses yeux sont fermés et
elle recommence sa marche pénible.
Comme nous portions des croix sur nous,
la stigmatisée de temps à autre se tournait vers nous et se consolait
dans le doux baiser du crucifix. Mais cette fois, il n’en est plus de
même. Déjà elle s’est arrêtée une fois en présence de l’envoyé de
l’Archevêque, semblant lui demander quelque chose. Celui-ci ne sachant
que faire, et n’ayant rien à offrir, reste à sa place. Que
demande-t-elle donc ? Au commencement de l’extase nous avons vu un homme
de haute taille entrer dans la maison, Il portait entre ses bras une
grosse boite assez lourde qu’il déposa dans un coin avec un air très
satisfait d’être débarrassé d’un poids si lourd. Qu’est-ce que cela
voulait dire ? L’homme à la boite dit à voix haute :
- Cela vient de la part de l’autorité
ecclésiastique.
Et il s’essuyait le front.
Me voilà dans les conjectures. Mais
aussitôt la mère Jahenny nous dit :
- Vous pouvez entrer, Messieurs.
J’entrai et, depuis ce moment, je perdis
de vue la boite au secret. La stigmatisée avait donc été vis-à-vis de
l’homme étranger dont je viens de parler, et maintenant voici qu’elle
revient, continuant toujours son chemin de croix. A chaque pas, tout son
buste se soulève rapidement, comme pour ne pas être écrasé sous le
poids. Pendant ce temps, l’étranger, surpris une première fois, était
allé ouvrir la botte. Il prenait une statue et revenait à sa place.
Cette statue miraculeuse date du Xlllème siècle. Elle avait
été cachée pendant la révolution, elle fut découverte dernièrement et
envoyée aujourd’hui à La Fraudais.
Au moment où je parle, l’étranger, assis
en dehors du seuil de la porte du cabinet, tient la statue, haute de un
pied ½
ou deux pieds. Que va faire
Marie-Julie ? Elle a les yeux fermés, va t’elle sentir la statue
miraculeuse ? Elle se détourne, elle avance, elle arrive. Ses genoux se
frappent contre le seuil ; elle avance la tête et ne pouvant arriver,
elle monte sur le seuil, jette tout son corps en avant sans s’occuper
des lois de l’équilibre et avec une joie bien visible, avec un sourire
de bonheur, elle colle ses lèvres sur les pieds, les mains, la face de
la statue de Marie.
Ici, il n’y a plus de lenteur ; c’est
avec la vivacité d’une joie très grande qu’elle promène ses baisers sur
toute l’image miraculeuse. Puis, étendant les bras, elle la serre contre
sa poitrine, l’emporte d’entre les bras de cet étrange laïque, descend
péniblement du haut du seuil, vient vers nous à genoux, supportant la
statue miraculeuse, et devant nous Marie-Julie, emportée par le
ravissement de l’extase, ouvre les yeux et lit dans le ciel :
- Ma bonne Mère, ma bonne Mère,
dit-elle à voix basse, et
elle la couvre de baisers.
Soudain, elle s’adresse de nouveau, à
nous, prêtres. Elle dit à l’Abbé Le Golf qui tenait la statue :
- Vous aurez des joies et des
consolations ineffables, etc.
A l’Abbé Bihan, elle donne sa croix en
lui disant quelques paroles. Puis promenant les deux bras dans l’espace,
elle dit à voix basse :
- Encore une croix, encore une croix.
Je lui en mets une dans la main. Et
alors, elle se détourne vers moi. Nous sommes à genoux, l’un vis-à-vis
de l’autre. Je vois les pupilles de ses yeux, fixées dans le ciel, sa
face allongée, ses lèvres entrouvertes. Elle descend vers moi et me dit
:
- Voici une croix, gardez-la. Vous en
aurez un rude besoin.
Après ces paroles, elle reprend sa
croix, et continue sa marche silencieuse dans la voie douloureuse. La
statue est placée au milieu de la chambre et chacun retourne à sa place.
Quelques minutes après, Marie-Julie tombe pour la troisième fois et de
la même façon que précédemment. La croix tombe à côté d’elle. Dans cet
état, la joue droite et le coin de la bouche étant appliqués sur le
plancher. Marie-Julie commence une troisième prière qui dure encore
environ vingt minutes. Sa voix reste forte, libre et sonore.
Cependant vers la fin, on sent que la
gorge est un peu fatiguée. Cette prière a été la plus belle de toutes.
Elle a arraché des larmes à tous les assistants, et même j’en ai vu un
qui, non seulement pleurait mais sanglotait. Malheureusement, je ne suis
plus à même de la suivre. Elle commence par saluer la croix, témoigne à
son cher Jésus, la joie qu’elle ressent en arrivant au Calvaire, et
demande d’être attachée à la croix. Alors, St Thomas, St Jean
Chrysostome se présentent à elle dans sa vision. Elle les remercie de ce
qu’ils viennent l’instruire tous les jours, elle, misérable pécheresse,
véritable Magdeleine. St François d’Assise se présente également. Elle
le salue avec un accroissement de bonheur. Elle l’appelle le séraphin du
ciel elle lui parie de sa soeur l’hirondelle, de son frère le loup, etc.
Puis, c’est nous-mêmes, les trois
prêtres bretons qu’elle revoit dans son extase.
- Je Vous prie, ô mon Dieu, pour les
trois prêtres bretons qui sont ici présents. Je vois leurs âmes comme de
blanches colombes au milieu d’un océan d’amour. Autour de chacune
d’elles, se trouvent d’autres petites colombes qui voltigent tout autour
: ce sont les âmes dirigées par eux.
Et plus loin, elle dit :
- Il y a parmi nous un Frère qui
porte une croix dans son coeur et cette croix l’empêche de faire tout le
bien que désire son âme, O mon Bien-Aimé, donnez-moi une partie de ses
croix : je veux les porter. Donnez-les moi, à moi, misérable pécheresse.
Cependant, ô mon Dieu, que Votre Volonté soit faite. Il est doux de
souffrir avec une entière résignation à la sainte Volonté de Dieu.
Après cette prière, Marie-Julie se lève.
Elle a un ravissement. Elle étend ses bras et ses mains ensanglantées et
se tourne vers l’est. Elle dit à Dieu de lui faire souffrir toute espèce
de tourments, de la crucifier à l’arbre de la croix, et soudain elle
tombe à la renverse, toute d’une pièce comme une planche qui tombe, elle
met les bras en croix, applique le pied droit sur la plante du pied
gauche et reste en cette position pendant une heure et demi. C’est le
crucifiement, c’est Jésus en croix, c’est la dernière extase avant la
mort mystique. En ce moment, nous nous mettons tous à genoux pour
réciter cinq Pater et cinq Ave Maria.
Puis nous causons doucement entre nous.
Un des étrangers nous dit que si nous voulions la soulever maintenant,
elle se soulèverait toute d’une pièce car ses membres ne sont plus
flexibles. Nous n’avons pas osé faire l’expérience. Cependant je me suis
courbé sur l’orifice de plusieurs petites plaies. C’est en ce moment que
l’on dépose sur sa poitrine les objets de piété que l’on possède. Nous y
avons mis des croix, des médailles et des images et chaque fois que nous
déposions quelque chose, chaque fois nous voyions les lèvres de
Marie-Julie remuer. On dit que pendant cette extase, elle demande au
ciel une certaine bénédiction sur les objets déposés sur sa poitrine.
Revenons à la stigmatisée. Pendant tout
ce temps, elle ne bouge pas plus que ne ferait une statue, étendue sur
le dos et les bras en croix. Elle est aussi tout à fait silencieuse. Au
bout d’une demi-heure environ, une petite voix douce et très mélodieuse
se tait entendre. C’est la stigmatisée elle-même qui chante un hymne ou
un cantique. Dans son extase, elle compose à la fois es paroles, l’air
et la mesure et chante d’une voix toute céleste comme si elle voulait se
mettre à l’unisson des Anges. Le premier cantique est sur le ton du Te
Deum. Il e pour refrain : " Mon doux Jésus, je me meurs de regret de ne
pouvoir mourir. " Le second cantique commence par ces paroles : " Mon
Bien-Aimé, etc. " Tous deux expriment des idées sublimes énoncées très
simplement et enseignent toujours l’amour de la croix. Après les
cantiques elle se remet à prier à voix basse. De temps à autre, on lui
donne la croix à baiser ; une fois elle demande l’Ecce Homo.
Enfin après une heure et quart, il
s’opère en elle quelque chose de prodigieux. Sa poitrine se gonfle, se
ramasse et s’agite convulsivement, comme si elle était labourée par un
poignard. On croit entendre un bruit sec, semblable à celui d’ossements
qui se brisent et en même temps un air indicible de souffrances se
répand comme un éclair sur toute la personne de la stigmatisée. Tout
cela dure environ une minute et tout retombe dans le silence. Les pieds
de Marie-Julie ne sont plus l’un sur l’autre, les bras tombent le long
du corps, les mains sont froides. C’est, me dit-on, la mort mystique, et
cette mort doit durer dix minutes environ. Les contorsions que nous
venons de remarquer proviennent du coup de lance qu’elle reçoit
mystiquement. Elle doit en ce moment supporter des douleurs atroces. Au
bout de sept à huit minutes, elle s’éveille. La mort est vaincue, c’est
une résurrection. Marie-Julie se lève, elle a un ravissement, voit son
Bien-Aimé et Lui parle, je crois que les mains sont jointes en ce
moment.
- Beau Paradis, beau Ciel que tu es à
désirer ! 0 Jésus, mon âme immortelle souffre dans sa prison. Elle
désire s’envoler, etc. Celle prison est déjà vermoulue, elle tombe en
poussière. Un seul lien me rattache à elle. O mon Jésus, mon cher Jésus,
coupez, tranchez ce lien. Que je voudrais m’envoler dans les splendeurs
éternelles ! ... elle baise
la croix !
Mon Bien-Aimé me dit que la voie va
se fermer et que mes prières sont exaucées. Oh ! merci, mon Jésus,
merci, mon Bien-Aimé, emmenez-moi...
Je vois la Vierge Marie au pied du
Trône éternel... Mais pendant ce temps la vision disparaissait de plus
en plus. Ce n’étaient plus les flots de lumière surnaturelle qui
l’inondaient tout à l’heure, ce n’est plus qu’un crépuscule qui va
toujours faiblissant.
O ma Mère, s’écrie la stigmatisée
enjoignant les mains vers le ciel, emmenez-moi.
Puis, elle va devant elle, elle semble
emportée par la vision.
- Ma bonne Mère, dit-elle enfin d’une
voix larmoyante, emmenez-moi ! Oh ! Emmenez-moi.
La mère de Marie-Julie était là, toute
prête. Elle a étendu les bras pour soutenir sa fille et l’a conduite sur
un siège placé au bout du lit.
L’extase était terminée à cinq heures et
quart ou cinq heures et demi du soir. Aussitôt, nous voulons lui parier.
- Non, dit la mère, elle est encore
trop fatiguée et véritablement elle était tout essoufflée. Au bout de
cinq ou six minutes, elle était remise, et tous trois nous avons le
bonheur de former cercle autour d’elle et de sa mère. Sa soeur aussi
était là, disposée à nous servir d’interprète auprès de Marie-Julie.
Assise dans sa chaise, la stigmatisée était toute transformée. Sa
figure, au lieu d’être allongée, était devenue assez ronde. Elle nous
reçut avec une candeur, une douceur, une simplicité, une confiance très
grande. Un sourire très aimable était toujours sur ses lèvres, mais
pendant qu’elle nous parlait, ses yeux étaient toujours baissés. II n’en
était pas de même quand une femme ou une fi1e se présentait. Nous lui
donnâmes chacun une image.
- Oh ! merci, bon petit Père.
Je crois que c’est là le terme pour désigner le prêtre dans son patois.
A son tour, elle nous donne à chacun,
deux jolies petites images et un petit crucifix. Nous nous fîmes des
promesses réciproques. Et enfin, nous nous séparâmes, le coeur inondé de
joie.
Voilà ma visite à La Fraudais. Dans ce
fait, y a t il du surnaturel ? Oui, certainement. Le doute n’est même
pas possible pour quiconque a vu de ses yeux. Est-ce du surnaturel divin
ou simplement diabolique ? J’espère que l’Église le dira plus tard. Je
sais que le démon a eu ses stigmatisées ou du moins quelque chose de
semblable. Je sais que le démon a eu ce que j’appellerais bien des mater
dolorosa. Mais ici tout se trouve à la fois :
Les stigmates les plus beaux qu’on ait
jamais vus, les ravissements, l’extase, l’abstinence, le siège
diabolique, la doctrine excellent. Tout pousse vers le bien ; rien ne
porte au mal, rien, absolument rien. Pour moi, personnellement, je crois
fermement au surnaturel divin.
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Récit de l'Abbé Gouron
Nous sommes trois compagnons de route :
l’Abbé Le Golf, vicaire de Plougoumelen, l’Abbé Bihan, vicaire à
Mériadec et moi.
Le mercredi, 6 novembre 1878, nous
montons dans le train à Sainte-Anne.
Le lendemain, nous étions en marche vers
La Fraudais, petit village de campagne, si célèbre par la présence de la
stigmatisée Marie-Julie... Nous voilà dans la boue d’un vilain chemin
qui nous mène directement dans le hameau tant désiré.
Nous entrons, c’était le jeudi soir,
vers une heure et demie. Une jeune paysanne vient nous recevoir, et sa
première parole est celle-ci : " Nous
n’acceptons pas d’étrangers le jeudi " .
Sa mère, une femme de 60 ans environ,
sort d’un cabinet, nous considère en nous répétant le même refus.
- Cependant, disions-nous, nous
sommes venus de loin, pour assister aujourd’hui à l’extase.
- N’importe, réplique-t-elle, nous ne
pouvons accepter les visites du vendredi.
Puis après un moment de réflexion, elle
nous dit :
- D’où êtes-vous ?
- Nous sommes des environs de
Sainte-Anne d’Auray.
A ce nom de Sainte-Anne, un consolant
sourire apparaît sur tous les visages :
- C’est donc vous qui nous avez écrit
des environs de Sainte-Anne d’Aura y ?
- Oui, Madame.
- Nous n’acceptons pas d’étrangers le
jeudi, cependant entrez.
Et la porte du cabinet s’ouvre. Nous
sommes dans un sanctuaire.
Vis-à-vis de la porte, dans le fond du
cabinet, se trouve un lit, et sur ce lit, était étendue sur le dos, une
personne de 28 ans. Quoique toute habillée, elle était cependant sous
des couvertures qui se repliaient sur sa poitrine pour laisser sortir
les bras. Ses deux mains se rejoignaient pour tenir et serrer deux
crucifix avec quelques fleurs des champs, ces fleurs étaient-elles
naturelles ou non, je n’en sais rien. Sa tête reposait doucement sur un
oreiller, et ses yeux restaient fermés comme dans un sommeil extatique.
Du premier coup d’oeil, je vis très bien sa couronne d’épines et les
stigmates de ses mains. Elle était là, parlant d’une voix lente,
accentuée et assez forte.
Près d’elle, dans l’embrasure de la
fenêtre était un homme courbé sur une main de papier :
Il écrivait de toute la vitesse de ses
doigts, les paroles qui tombaient des lèvres de la stigmatisée. Ce
scribe est un ancien notaire de Nantes qui, à l’exemple de Clément
Brentano, a tout laissé pour recueillir les visions et les révélations
de Marie-Julie.
Le bruit que nous fîmes en prenant des
chaises et en nous asseyant, passa tout à fait inaperçu. L’extatique ne
voyait et n’entendait rien. Alors enfin, nous tendîmes l’oreille.
Pendant trois heures entières, Monsieur
Charbonnier, l’ex-notaire écrivit ce que dictait la jeune personne. Mais
comme il nous était défendu de prendre des notes, je ne puis que me
rappeler les idées principales que je vais tâcher de coordonner ici.
D’abord, elle parlait d’un Saint et ce
Saint devait se trouver là devant les regards de son âme, lui dictant ce
qu’elle avait à dire. Au moment de notre entrée, elle disait :
Votre nom, ô Saint, est difficile à
prononcer.
- Je m’appelle Grelut, dit le Saint.
Ici, comme à la fin de chaque phrase,
la stigmatisée éprouvait un mouvement thoracique très prononcé comme
pour aspirer l’Esprit Saint. Puis elle continue :
- C’était, dit-il, pendant la grande
persécution. Je fus étendu sur des barres de fer. On avait mis sous mon
corps des charbons ardents, on en mit également par-dessus, de telle
sorte que j’étais enfermé dans ce brasier, comme dans un tombeau.
Jamais, dit le Saint, je n’ai passé une journée aussi délicieuse ! Le
lendemain, je fus attaché à un poteau garni de pointes de fer. On m’y
lia au moyen de bandelettes couvertes de pointes aiguës. On m’ouvrit la
poitrine avec un instrument affilé et tranchant, et on introduisit des
charbons enflammés par cette large ouverture que l’on referma au moyen
de bandelettes ; l’heure de ma délivrance allait sonner, dit le Saint.
Mon corps fut jeté dans la rivière et mon âme s’envola vers le ciel.
Puis vient une magnifique description du ciel, qu’il est impossible de
reproduire.
Après cette vision historique,
Marie-Julie resta silencieuse pendant trois ou quatre minutes. Puis,
comme se réveillant, elle aspira très fortement et parla sur un autre
sujet.
- Je vois, dit-elle, l’Esprit Saint
qui descend du ciel. Je le vois semblable à une colombe.
Il dit : Je suis la Voie, la
Vérité et la Vie. Je viens répandre sur la terre un esprit d’amour, un
esprit de vérité, de science, de sagesse.
Reposons-nous un instant dans le
Coeur de Notre-Seigneur avant d’entrer au Saint Noviciat dans les amours
et les splendeurs de Dieu.
En attendant la continuation, nous
causons entre nous. Je me rappelle en outre qu’elle se trouve au 13éme
degré de son Noviciat. C’est l’échelle mystique qu’elle monte petit à
petit à mesure qu’elle avance dans la sainteté.
Cette échelle n’a que 14 degrés, Jésus a
parcouru ces 14 degrés Lui-même puisqu’il y a 14 stations dans le chemin
de croix. Quand elle aura donc monté le 14éme, son Noviciat
sera terminé et elle entrera dans les splendeurs éternelles. Louise
Lateau parcourt la même échelle mystique car il est dit qu’elle était il
y a un certain temps au 5ème degré.
Voici le réveil, écoutons : ici elle
parle de l’étude mystique, c’est-à-dire de cette partie la plus élevée
de la théologie que Saint Thomas, Sainte Thérèse, Saint Français de
Sales ont tant cultivée. Après un magnifique préambule où les paroles
dictées montrent que l’Esprit Saint parle d’elle-même, elle aborde la
prière de l’âme, c’est-à-dire une des parties les plus sublimes de la
mystique divine.
- L’âme, dit l’Esprit Saint, a besoin
de prier. Sa prière monte vers Dieu comme un parfum agréable. Dieu
l’exauce et fait descendre aussitôt sur cette âme une rosée céleste qui
la pénètre, l’humecte et l’embaume. Fortifiée par ces grâces, l’âme
remonte vers Dieu. Sa prière s’élève jusqu’au trône de l’Éternel, et là,
se transforme en mille petites perles. Au milieu de chacune de ces
petites perles se trouve l’objet de la prière. Dieu l’exauce et fait
redescendre sur elle une grande perle remplie des richesses et des
grandeurs divines. Cette grande perle pénètre l’âme et la remplit de
vertus. L’âme en cet état ne vit plus que pour Dieu et, semblable à son
Bien-Aimé, elle est avide de porter sa croix. Oh ! qu’on est heureux de
souffrir sur la terre, dit
l’Esprit Saint.
Puis, par des développements admirables,
elle montre l’âme immortelle, chargée de sa croix en communiquant à son
corps les effets de ce portement de croix. Ce sont d’abord les
stigmates, c’est ensuite la délivrance de toutes les nécessités
corporelles par la croix. Je vois, disait-elle, des tuyaux qui
reçoivent leur rafraîchissement. Enfin, par sa démonstration la
croix devenait l’unique consolation, l’unique espérance, le bonheur de
l’âme et du corps. Puis elle s’écriait :
" Qu’on est heureux de souffrir sur la terre. La croix, dit
l’Esprit Saint, c’est le gage d’amour qui donne I’Époux â l’épouse.
L’Esprit Saint me dit que le travail
de la haute contemplation étant beaucoup plus fatigant que tous les
travaux de la terre, il faut se délasser un moment. "
Alors, elle rentre dans le silence
pendant environ cinq minutes. Tout à coup, on voit sa poitrine se
soulever ; elle aspire fortement et recommence ainsi :
- L’Esprit Saint me rappelle en ce
moment un mot très court sur l’oraison mentale. L’oraison mentale est le
pain de l’âme. la forteresse de l’âme. Trois choses sont absolument
nécessaires, dit-il, Lui, Dieu, pour faire l’oraison mentale. La
première, il faut que l’âme se pénètre de cette pensée ; qu’elle parle à
son Dieu, son Souverain, son Créateur, son Rédempteur et qu’elle se
détache de tout objet extérieur, qu’elle oublie tout pour ne se mouvoir
qu’en Dieu.
Il dit ensuite, l’Esprit Saint : il
faut avoir une grande droiture d’intention, un esprit calme et sans
trouble ; il faut s’abîmer dans sa bassesse et dans son néant au moyen
d’une humilité sincère.
Puis elle continue en corroborant cette
pensée par plusieurs belles périodes de phrases. Elle finit en disant :
- Cela plaît souverainement â Dieu,
dit l’Esprit Saint.
Maintenant,
Il dit encore, Lui, l’Esprit Saint : la méditation par paroles est
moins parfaite que la méditation par pensées, car certaines paroles
suffisent pour préoccuper l’esprit et entraîner hors de l’oraison. Une
seule pensée suffit pour méditer pendant une heure et même deux heures,
dit l’Esprit Saint ; C’est ainsi que l’âme se nourrit et qu’elle avance
rapidement dans la perfection. C’est ainsi qu’elle prend son essor pour
s’envoler semblable à une colombe dans le sein de Dieu.
A ce moment, Marie-Julie se tut.
L’extase touchait à sa fin car il était 4h ½. Cependant, elle éleva
encore la voix pour dire que l’Esprit Saint allait fermer la voie, et
l’invitait à se reposer.
Alors, eut lieu le retour de l’extase.
Je m’approchai de son lit et je penchai la tête pour comprendre les
paroles qu’elle murmurait en serrant son crucifix sur ses lèvres. Elle
était là, les yeux ouverts et la pupille fixée vers le ciel. Ses larmes
coulaient et ses lèvres serrées contre le crucifix murmuraient ces
paroles entrecoupées :
" Mon doux Jésus, embrasez-moi. Je
vous prie pour X et pour X ".
Cependant, la voie se fermait de
plus en plus ; elle allait se retrouver sur la terre. Alors, ce fut avec
une effusion indicible de douleur et d’amour qu’elle murmura ces paroles
:
- " Oh ! encore sur cette terre ! "
Vivement impressionnés par cette
dernière scène, nous sortîmes en souhaitant le bonsoir à la famille et
en lui disant à demain.
Avant de clore cette journée, je veux
encore insérer un fait très digne de remarque, et dont j’ai fait
moi-même l’expérience. Pendant que Marie-Julie était dans cet état
silencieux que j’appellerais bien sommeil de l’extase, nous nous sommes
levés pour lui donner notre bénédiction. L’extatique restait dans son
immobilité et ne s’en apercevait pas. Alors, nous avons mouillé
l’extrémité de nos doigts dans de l’eau bénite, et nous avons
recommencé. Chose surprenante ! à chaque bénédiction, elle tressaillait
sans ouvrir les yeux, mais avec un air visible de joie et de plaisir.
Nous avons recommencé l’expérience diverses fois et toujours avec le
même succès. Voilà la visite du jeudi.
A cinq heures et demi, nous étions dans
la boue, revenant péniblement vers Blain, mais le coeur était content.
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Un autre chemin de Croix
Une heure
moins le quart - Marie-Julie est assise dans un fauteuil de paille,
la tête appuyée sur son lit. Elle est oppressée. Monsieur David dit
que c'est du bonheur qu'elle éprouve de s'unir à son Sauveur. On
nous place sur des chaises et sur des bancs autour de la chambre qui
ne peut que contenir sept ou huit personnes, les autres au nombre de
sept se mettent à la porte en dehors de l'appartement (sa chambre).
Marie-Julie
demande la bénédiction des prêtres qui sur l'invitation de Mr David,
se lèvent pendant que toute l'assistance imite Marie-Julie en se
prosternant pendant la bénédiction sacerdotale. Elle se rassied et
presque aussitôt l'extase commence :
" Mon bien-aimé Jésus, je vous
adore et je vous aime et je vous vois venir à moi tout plein d'amour
et de tendresse ! Mon bien-aimé Jésus, cachez-moi dans ce saint
amour. Mon coeur s'envole vers vous, mon bien-aimé Jésus,
recevez-moi ! Venez vers moi, Amour de mon coeur, transporté
d'amour. Je n'ai pas mérité de posséder tant de bonheur, je serai
près de Vous, près de cette croix, cher Trésor Époux bien-aimé. Je
vous donne mon coeur pour marcher sur vos traces.
Faites-moi souffrir car je
languis d'amour. Mon coeur est à vous, renfermez-le dans le vôtre.
C'est trop d'amour. Donnez-moi des souffrances, des croix, mon Époux
du Calvaire ! "
La servante de Dieu met ses mains
derrière le dos, elle continue ses effusions saintes. Elle assiste à
l'agonie du Sauveur au Jardin des Oliviers ; on le maltraite, on le
condamne, on l'outrage, on le charge de sa Croix. Marie-Julie
partage les douleurs de Jésus et mentionne la colonne de la
flagellation, les traitements barbares infligés à Jésus-Christ. Elle
admire l'héroïsme de Véronique qui, bravant les soldats et les
bourreaux, arrive jusqu'au Divin Maître et lui essuie le visage
couvert de sueur. D'après les paroles de l'extatique, les saintes
femmes, Madeleine en particulier, tentent certains soulagements pour
Notre-Seigneur que la tradition ne rapporte pas. Marie-Julie implore
et le pardon de Jésus et sa clémence.
Marie-Julie : Dépouillez-moi
dit-elle, et de ma volonté, et de ma liberté, donnez-moi votre
amour, donnez-moi votre croix, vos épines et vos clous.
Dépouillez-moi de tout, revêtez-moi de vos habits de la pauvreté,
donnez-moi un vêtement au pied de votre croix, la pureté, la
virginité. Pardon pour les pauvres pécheurs, pour moi, mon bien-aimé
Jésus !
L'homme des douleurs ne pousse pas
un murmure. Modèle accompli de patience, de résignation, de charité.
Marie-Julie se met à genoux et commence le chemin
de la Croix, marchant en silence sur ses genoux et portant une croix
mystique qui l'écrase et la fait marcher sous sa pesanteur avec une
difficulté extrême. Elle porte une petite croix avec les deux mains
au-dessus de l'épaule gauche.
Une heure vingt minutes - Première chute.
Elle tombe la face contre terre et pleure. Après
un certain temps pendant lequel elle parle tout bas et prie, elle
dit à haute voix :
Marie-Julie :
Mon bien-aimé Jésus, je vous adore et je vous
aime. Je vous vois porter mes péchés, dans votre tendresse et dans
votre amour. Comment ne pas demander à souffrir, misérable
pécheresse que je suis ! Mon bien-aimé Jésus me dit :
Jésus : Veux-tu souffrir davantage ? Veux-tu
souffrir pour consoler mon Divin Coeur ? Souffrir pour la conversion
des pauvres pécheurs ?
Marie-Julie : Oh ! trop heureuse de souffrir
avec vous sur le bûcher du supplice de la Croix. Toujours et partout
souffrir ! C'est là que je goûte mon bonheur. Il faut que je
souffre. Oh ! préparez-moi des croix, des souffrances !
Elle se remet à genoux et continue ainsi le
chemin de la Croix, portant le bois mystique avec plus de peine et
de fatigue qu'auparavant.
A une heure trente cinq minutes, deuxième chute.
Elle parle tout bas, sanglote et prie. Sa petite croix est tombée à
sa gauche, détachée d'elle. Puis elle dit tout haut :
Marie-Julie : Mon bien aimé Jésus, je vous
adore et je vous vois et je vous suis. Depuis assez longtemps je
vous offense, vous avez assez longtemps souffert pour moi ! Je vous
promets ô mon Trésor, je vous promets de mourir plutôt mille fois
que de vous offenser.
Jésus montre ses plaies. Il tombe la face contre
terre et la croix se sépare de Lui. Oh ! mon Père ! O mon Verbe
éternel, je contemple vos plaies adorables. Elles sont autant de
voix qui crient pour demander des prières !
Paroles de Jésus : Prépare ton coeur, me dit
le bon Jésus dans sa tendresse, donne-moi ton amour. J'ai vu que tu
partages mes souffrances. Ce que je te ferai supporter te conformera
à ma volonté, appellera les grâces et les bénédictions du Ciel.
Marie-Julie : Je vois la plaie sanglante de
son Épaule ! Combien elle est profonde et douloureuse.
Jésus : Je te dirai les prières qui allègent
mes souffrances. Je désire que cette plaie soit connue de mes
enfants.
Mon divin Jésus ouvre son Coeur. Il dit :
Jésus : Les personnes pour qui tu pries,
qu'elles viennent frapper à la porte de mon Coeur divin. Je
purifierai par la douleur et des sacrifices, ce que vous me
demandez.
Une heure trois quarts. Marie-Julie se met encore
à genoux, reste quelques instants, les regards fixés vers le ciel,
referme les yeux et marche de nouveau sur ses genoux. Elle s'arrête
près de son fauteuil, s'appuie sur le Curé de Savenay (monsieur
l'Abbé Mauclerc) auquel elle donne sa petite croix (de 20 à 30
centimètres), fixe de nouveau ses regards vers le ciel. Elle est
oppressée, elle sanglote, referme les yeux et laissant sa petite
croix entre les mains du prêtre, elle continue sa marche avec sa
croix mystique et si pesante.
Une heure cinquante cinq minutes - Elle tombe
pour la troisième fois, la face contre terre, le haut des bras
détachés parallèlement à la direction du corps. Elle sanglote. Après
un certain temps de silence et de prières, elle parle de nouveau :
Marie-Julie : Mon bien-aimé Jésus, je vous
demande d'avoir part sur le Calvaire, à vos souffrances. La Croix de
votre sacrifice se prépare. Cruels bourreaux, clouez-moi à la place
de mon Jésus, c'est moi qui ai mérité toutes ces douleurs ! Mon
Sauveur me dit :
" Viens sur ma Croix "
O tendre amour de la croix, quand on vous a
goûté, on ne peut plus vous quitter ! Étendez-moi sur ce gibet, je
veux vivre et mourir sur la Croix, sur la Croix du Calvaire.
Elle essaie de se relever six fois et six fois
elle tombe toujours la face contre terre ! Au septième effort, elle
se remet à genoux.
Marie-Julie continue ses invocations au Divin
Coeur de Jésus. Elle invoque Marie et associe ses prières à celles
de la Vierge sans tache. Elle assiste au couronnement d'épines, au
crucifiement et son langage est celui d'un Ange réclamant les
tourments du Roi éternel des siècles, consommant son holocauste
réparateur. Elle ouvre les bras et lève les yeux au ciel :
" Trop douce souffrance, viens accomplir le
sacrifice que je demande de toi. Mon coeur nage dans les délices, je
suis avec vous sur cette Croix qui console ! "
Trois heures un quart - Elle élève les mains en
ouvrant davantage les bras, se tourne, met le pied gauche sur le
pied droit et tombe en arrière de son haut les bras ouvert et
élevés, les mains crispés comme cloués à la Croix. Elle dit les
litanies de Sainte Germaine (composées par elle) dont chaque verset
commence par : " Sainte Germaine, épouse de Jésus-Christ ou ma
petite soeur, ô ma Germaine etc. "
Après ces litanies qui sont admirables, elle
chante sur un air de complainte, ayant les bras dans la même
position, elle est toujours sur la Croix et dit :
" Chaque jour, ô mon Époux du ciel, donnez à
mon coeur, une douceur extrême, du haut de la Croix, ô Jésus, du
haut de la Croix, jetez un tendre regard sur vos enfants qui
pleurent et qui gémissent. Mon bien aimé Jésus, montrez-nous votre
amour. Du haut du ciel, regardez vos enfants. Pitié mon Dieu pour
les pécheurs qui jusqu'ici n'ont pas écouté !
Et vous, ô Marie, ô ma tendre Mère, priez
Jésus votre très cher Fils ! Demandez qu(Il ait pitié de nous !
Sans vous mon Dieu, hélas, sans vous, nous
périssons ! Cachez-nous dans votre Coeur, tendre Marie, portez tous
nos coeurs à Jésus ! O Divin Maître, nous irons tous en vous
bénissant, à votre saint Coeur. Il sera notre défense. Il sera le
Roi des hommes ! Divin Jésus, faites sortir la victoire de votre
Coeur adorable. Manifestez votre clémence.
Précieux Trésor que la Croix ! Quel riche
partage que de posséder la Croix ! Pitié mon Dieu du haut de la
Croix pour vos enfants couvert d'un habit de deuil. Montrez-nous la
fleur d'espérance qui doit un jour nous sauver.
Marie, mon auguste Mère, présentez à Jésus,
les plaintes de nos coeurs et dites-lui que nous désirons la paix.
Votre cher Fils ne sait rien vous refuser ! Hâtez ce temps de la
paix. Pitié pour vos enfants !
Oh ! Marie, demandez à Jésus qu'Il pardonne
avant d'exercer sa divine Vengeance ! Nous ne péririons pas car
Marie nous le promet. Marie notre Mère nous protégera. "
Trois heures quarante cinq minutes. On dit une
dizaine de chapelet pendant que Marie-Julie ne parle pas.
Trois heures cinquante minutes. Elle est frappée
d'un coup de lance. On voit ses souffrances qui se trahissent par
des soupirs de douleur et son côté qui se contracte. Elle embrasse
le crucifix qu'on lui a présenté, elle prie tout bas et est
immobile.
Puis, à quatre heures, elle dit :
" Mon bien-aimé Jésus, je vous adore et je
vous aime de tout mon coeur. Je vous vois mort pour moi sur cette
croix ... Là, sont bien des coeurs attendris mais il en est d'autres
qui sont bien froids et bien durs, chez qui la foi est morte. Pitié
pour ces malheureux ! Réveillez l'amour en eux !
Mon bien-aimé Jésus se penche avec pitié, les
appelle dans sa miséricorde. "
Parole de Jésus : " Amour, accourez, pécheurs,
dit-Il, c'est le temps du pardon, du repentir, de la
contrition. Bientôt ce temps sera passé. Je ne pardonnerai plus, ce
sera l'heure de la Justice, et Je frapperai. "
" Le Coeur de mon Dieu est rempli de trésors
cachés et mon encore connue. Bientôt,dit le Sauveur, vous
verrez combien mon Coeur possède d'amour pour vous. Oh ! mes enfants
qui avez cessé de m'offenser ! Je ne veux pas vous laisser périr
parce que vous êtes mon ouvrage, je vous ai pardonné et vous
pardonne chaque jour !
Au pieds de la Croix pour la pauvre France,
j'ai vu Marie étancher ses larmes avec son manteau. Depuis longtemps
elle retient le bras de son Fils. Elle suspend sa Justice. Marie
demande des prières aux enfants du Sacré-Coeur. Elle se fait
mendiante pour nous ; Elle sollicite du Sacré-Coeur encore un peu de
temps pour que nous l'invoquions encore. Le Divin Jésus
pardonnera-t-Il ? "
Marie-Julie voit Saint François d'Assise au pied
de la Croix et laisse tomber de son âme des accents dignes du
Fondateur de l'Ordre Séraphique.
Marie-Julie baisse les bras le long du corps :
c'est le tombeau. Elle reste immobile. Puis à quatre heures et
demie, elle reçoit un nouveau coup de lance (ou bien le sang de
l'autre coup de lance semble l'étouffer.)le embrasse le crucifix, sa
relique de la vraie Croix, la statue de la Sainte Vierge.
Elle demande l'image de Saint François d'Assise ;
un prêtre en tire une de son bréviaire, elle ne la prend pas.
Monsieur l'Abbé Davis dit : " Je sais ce que c'est, l'image n'est
pas bénite. " Il la bénit et aussitôt elle l'approche
affectueusement de ses lèvres. Même chose arrive pour un chapelet
qu'elle refuse. Mr David demande s'il est bénit. - Oui, dit-on. La
croix l'est-elle ? - Je n'en sais rien est-il répondu. Je l'avais
perdue et on me la remplacé. On présente de nouveau le chapelet à
Marie-julie qui ne le prend pas mais la croix étant bénite elle
accepte le chapelet et le baise ainsi que la croix. Elle fait des
signes de croix sur son front avec sa relique qu'elle passe sur ses
yeux. Elle prie et souvent porte à sa bouche, des croix, les
chapelets, les reliques qu'elle a avec elle.
Pendant ce temps de silence, on récite les quatre
dernières dizaines de la deuxième partie du Rosaire, plus une
dizaine aux intentions de Marie-Julie.
Cinq heure. Elle se lève, se met à genoux, les
mains, les yeux tournés vers le ciel, elle dit :
" Le Séraphique Père Saint François avait un
amour si tendre pour son Jésus crucifié que lorsqu'il entendait
prononcer son nom, il tombait la face contre terre et ne pouvait
contenir son bonheur.
Oh ! Séraphique Père Saint François, je
pourrai bientôt aussi vous appeler mon Père, et beaucoup d'autres
aussi. "
Marie-Julie signale les faits ci-après : Saint
François resta trois heures sans connaissance quand il sentit le fer
de la lance pour la première fois. Il resta cinq heures en agonie
sur le rocher. Une flamme sortait quelquefois de son coeur.
Marie-Julie voit une grâce consolante dont le
jour n'est pas loin.
Cinq heures et demie. Les yeux sont ouverts, elle
donne son crucifix à baiser, lequel lui revient après avoir fait le
tour de l'assistance. Marie-Julie annonce qu'une grande abondance de
grâces sortent du Sacré-Coeur de Jésus " mais je ne puis pas tout
dire " s'écrie-t-elle, je parlerai en secret, mon bien aimé
Jésus et sa Très Sainte Mère me défendent de parler en public.
La Sainte Vierge ne nous bénira pas aujourd'hui,
ce sera Notre Seigneur et le Séraphique Saint François. Nous allons
faire une amende honorable au Sacré-Coeur de Jésus.
Elle se prosterne et dit tout haut une prière
admirable. L'assistance entière à genoux s'unit à elle. Puis elle se
relève et se prosterne présentant à Notre Seigneur et à Saint
François tous les objets qu'elle a dans les mains pendant la
bénédiction.
Enfin, elle tombe, brisée dans les bras de sa
mère qui l'assied sur son fauteuil où elle revient à la vie commune
mais pas tout de suite. Chacun se retire par discrétion la laissant
à sa famille. Chacun des assistants est heureux et convaincu.
Monsieur l'Abbé David son confesseur attend qu'elle revienne
entièrement.
Extase du 17 octobre 1877
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