Sommaire
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Quelques souvenirs
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Le Hameau de la Fraudais
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Chez Marie-Julie, un jour
d’Extase
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Dans l’intimité de Marie-Julie
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Melle
Imbert, fille du docteur, nous dit
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Ce
n’est pas vrai, Thérèse Neumann n’est pas morte
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Requiescat in pace
Quelques souvenirs
Au
cours des sept dernières années de sa longue vie de prière et de
souffrance, Marie-Julie Jahenny m’a reçue quatre fois en sa chambrette
oratoire de la Fraudais.
C’est
le récit fidèle de ces visites, que le lecteur trouvera dans les pages
qui suivent.
D’autres, mieux qualifiés, écriront peut-être un jour, la Vie de
l’humble et douce " Sainte de Blain. "
Pour
moi, qui ne saurais, sans témérité, dépasser le plan purement humain, je
dirai ce que j’ai vu et entendu, cela seulement dont j’ai été témoin,
tout simplement.
Que
ce petit livre, sans prétention, apporte, du moins, aux amis de
Marie-julie, auxquels il est dédié, un écho de sa voix, un reflet de ses
traits, un peu de la douceur de sa Fraudais paisible.
" Souffrir passe, mais, avoir souffert ne
passe jamais. "
Celle
qui, il y a sept ans déjà, prononçait dans l’extase cette parole
inspirée, Marie-Julie Jahenny, a cessé de souffrir.
Son
âme d’orante, habituée à de mystérieuses évasions, s’est envolée sans
effort dans le ravissement d’une extase qui, cette fois, n’aura pas de
fin.
"
Fais ton noviciat sur la terre, tu feras ta profession au Ciel. "
avaient encore murmuré ce jour-là ses lèvres exsangues, en un souffle à
peine perceptible, écho fidèle, semblait-il, d’une voix d’elle seule
entendue.
Nous
étions là quinze à vingt personnes, parmi lesquelles un dominicain, deux
séminaristes dont un futur franciscain, et deux médecins.
Et
quelques jours plus tard, dans le Courrier de Saint-Nazaire du 21
juillet 1934, je faisais en ces termes le récit de cette première visite
à la Fraudais.
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Le Hameau de la Fraudais
La
Fraudais. Un tout petit village, niché dans les verdures, ignoré de la
grande route qui n’envoie même pas, jusqu’à lui, l’écho assourdi de ses
rumeurs.
Quelques maisons basses dont les rayons de juillet rajeunissent les
vieux murs et magnifient les humbles toits.
Une
placette herbeuse, brûlée de soleil, où, dans un étroit pan d’ombre,
drôlement accusé par les quatre touches blanches de ses pattes
allongées, somnole un chien noir.
Deux
ou trois autos, abandonnées au ras des haies épineuses, qui détonnent,
d’étrange façon, dans ce paysage bucolique.
Pas
un bruit, pas un chant, pas un soupir, pas un souffle ne fait vibrer
l’air, ni frémir les branches.
Il
est midi. C’est l’heure splendide et morne où, selon le mot, si vrai, du
poète " rien n’est vivant, rien n’est triste ou joyeux. "
Le
village de la Fraudais est à trois kilomètres de Blain, non loin et à
gauche de la route qui conduit de cette ville à Châteaubriant.
C’est
là qu’habite, depuis toujours, celle que l’on appelle " La Sainte de
Blain ", ou plus simplement : Marie-Julie. Celle dont le nom, à peu près
ignoré chez nous, est prononcé avec ferveur en tous les points de la
France et presque du monde entier.
L’étrange vie et l’étrange histoire !
Née
le 12 février 1850, Marie-julie Jahenny est atteinte dès sa vingtième
année, d’une douloureuse maladie qui la retient alitée plusieurs années.
C’est alors a-t-elle dit - que la Sainte Vierge lui apparaît et lui
confie la mission de prier pour l’Église et pour les pécheurs. Comme
preuve de sa mission, Marie-julie reçoit les stigmates et est favorisée
de nombreuses extases.
Sa
vie, complètement transformée, n’est plus qu’une souffrance et qu’une
prière. Et déjà les pèlerins affluent à la Fraudais.
A
cette époque - en l’année 1873, je crois - Mgr Fournier, alors Évêque de
Nantes, reçoit, comme tous les évêques de France, un livre du Docteur
Imbert-Gourbeyre, médecin à Royat, traitant des stigmatisés.
Le
prélat, qui s’intéresse fort à Marie-Julie, appelle près d’elle le
Docteur Imbert. Celui-ci, après un long et minutieux examen, déclare
fermement : " Il n’y a pas de fraude à la Fraudais. "
Du
coup, les visites se multiplient et, chaque jour, mais plus
particulièrement aux jours et aux heures d’extases, le village s’anime
d’une vie inusitée dont le rythme ne semble pas, jusqu’ici, s’être
ralenti.
Les
prêtres, qui connaissent l’extatique de Blain et l’ont entendue au cours
de ses fréquentes extases, sont unanimes à déclarer que toutes ses
paroles sont toujours en parfait accord avec la dogmatique catholique.
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Chez Marie-Julie, un jour
d’Extase
Voulez-vous qu’ensemble, à notre tour, nous entrions dans la petite
maison de la Fraudais ?
Regardez. Cette maison, la voici, la plus vieille, peut-être, du
village, à coup sûr, la plus vétuste et la plus pauvre.
Elle
a une façade blanchie, percée d’une fenêtre étroite et d’une porte à
lucet. Son vieux toit penché est agrémenté de deux branlantes mansardes.
A la
simple pression des doigts, la porte s’est ouverte. Alerté par le
grincement familier, le chien noir qui dormait à l’ombre d’un mur,
" Bas-blancs ", le fidèle compagnon de Marie-julie, son inoffensif
gardien, soulève sa bonne tête alourdie de sommeil, entrouvre un œil
languissant et puis, rassuré sans doute, reprend son somme.
Nous
sommes dans une pièce vaste et sombre, meublée comme toutes les salles
communes des fermes. Un lit de coin, de grandes armoires à linge, une
table, des bancs de bois, une haute cheminée ornée, comme un baldaquin,
d’un large volant d’étamine à carreaux bleus et blancs.
Plusieurs personnes sont réunies là, silencieuses ou parlant à mi-voix.
On attend l’heure de l’extase.
Bientôt, en effet, une petite porte vitrée s’ouvre sur une cellule toute
blanche. Marie-Julie nous accueille avec un bon sourire. Dans son visage
amenuisé où les os et les veines saillent sous la peau ivoirine, les
yeux seuls sont vivants, jeunes et même rieurs. Extraordinairement mince
dans sa robe noire, elle n’est qu’une toute petite chose perdue dans les
coussins de cretonne fleurie qui garnissent son fauteuil rouge. Et ses
mains jointes sur son chapelet disparaissent à demi sous les mitaines
qu’elle ne quitte jamais.
Sa
chambrette est meublée d’un lit recouvert d’une courtepointe blanche et
les murs, blancs aussi, sont ornés d’images pieuses et de statuettes.
Sur une table, deux roses blanches s’alanguissent dans un vase, aux
pieds d’une Vierge de Lourdes voilée de tulle.
Et,
sur la fenêtre, un géranium ouvre ses larges fleurs nacrées, d’un
velouté délicat et d’une indéfinissable nuance.
Tant
bien que mal, l’assistance s’est placée dans l’espace réduit. Les yeux,
tour à tour clos ou fixés sur une vision qui la charme, Marie-Julie prie
à haute voix. D’une voix voilée, lointaine, neutre, mais qui, deux
heures durant, sans défaillance aucune, dira, en un bon français
correct, des mots ravissants et un peu étonnants aussi sur les lèvres de
cette bonne vieille paysanne de plus de 80 ans, à peu près illettrée,
qui n’a jamais quitté son village. Et ces extases se renouvellent deux
fois par semaine sans que jamais, m’a-t-on dit, ne se répètent les mêmes
phrases.
En
parlant, aujourd’hui, de l’extatique de Blain, je n’ai certes pas voulu
devancer un jugement que l’Église, toujours prudente, n’a pas encore
prononcé.
J’ai
esquissé tout simplement la silhouette d’une bonne petite vieille de
chez nous et exposé, très objectivement, un fait, assez étrange, sans
doute, mais surtout bien local et, par là même, susceptible, je crois,
d’intéresser les lecteurs du Courrier de Saint-Nazaire.
Au
début d’août de cette même année 1934, je revoyais l’humble petit
village paisible et souriant dans son écrin de verdures blondissantes et
d’azur lumineux. Je revoyais Marie-Julie, l’humble paysanne, paisible et
souriante dans sa cellule toute blanche et ornée et fleurie comme un
oratoire. Et le 4 août j’écrivais ces lignes :
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Dans l’intimité de Marie-Julie
Ce
n’est pas un jour d’extase. La porte à lucet ne s’est ouverte que pour
une amie de choix; celle qui depuis un temps immémorial, semble avoir
voué, toute sa vie, toute son activité, toute son affection à
Marie-Julie. Je veux parler de Melle Antoinette
Imbert-Gourbeyre, fille du professeur à l’École de Médecine de Clermont,
qui, à la demande de Mgr Fournier, examina la stigmatisée et conclut à
sa parfaite bonne foi.
A mon
tour, j’ouvre la porte vétuste qu’une simple corde maintenait close.
Dans
la grande salle commune, où règnent la propreté et l’ordre les plus
parfaits, Melle
Imbert me reçoit très aimablement; mais m’avertit, sans détours, du peu
de chances que j’ai de voir Marie-julie.
En
effet, celle-ci n’accorde jamais d’entrevue en dehors des jours
d’extase. Elle vit absolument retirée du monde, dans la prière et dans
le calme.
Pourtant, sa dévouée gardienne se risque. Elle entrebâille la porte
vitrée, frêle barrière dressée entre ma curiosité et la volonté d’une
pauvre femme qui aspire à un peu de paix. Et j’entends la voix menue,
usée, qui affirme cette volonté. C’est non ! Je n’ai plus qu’à partir.
Mais,
je ne pars pas. Bien au contraire, Je m’enhardis jusqu’à me glisser dans
l’entrebâillement de la porte.
Marie-Julie me regarde, un peu surprise, sans doute, de cette intrusion.
Puis son visage se détend. Elle me reconnaît et m’invite à m’asseoir
près d’elle.
Elle
se rappelle parfaitement mes récentes visites, me demande des nouvelles
des personnes qui m’accompagnaient et me cite le nom de l’un de nos
concitoyens qu’elle voit fréquemment.
Et
soudain, me menaçant du doigt - menace que dément le sourire de son bon
visage, - " Qu’ai-je appris - dit-elle - Vous avez parlé de moi dans
un journal de Saint-Nazaire ! " – " Vous l’avez donc lu ? " - " Non, ma
petite amie, Je ne lis pas les journaux; mais on me l’a dit. Ah !
Ajoute-t-elle, ce n’est pas bien, moi qui ne suis qu’une pauvre
pécheresse. "
Je
ris sans contrition aucune, puisque, - c’est là le but de ma visite, -
je suis bien résolue à recommencer.
Notre
conversation est amorcée. Avec simplicité et bonne grâce, Marie-Julie
répond à mes questions.
Je
lui demande si, au cours de ses apparitions, la Sainte Vierge a toujours
le Voile de deuil qu’elle portait lors de l’extase dont je fus témoin ?
Et depuis quand elle le porte ?
" La Vierge, me répond-elle, m’apparaît avec ce Voile de deuil depuis
juillet 1914. Quinze jours avant la grande guerre, Elle me révéla le
péril imminent qui allait frapper toute la chrétienté. "
Il
faut entendre avec quel accent de sincérité la voyante rappelle ces
souvenirs vieux de vingt ans qui, jamais, bien certainement ne
s’effaceront de sa mémoire.
M. le
curé de Blain, passant à la Fraudais, au lendemain de ces terribles
révélations s’aperçut de la tristesse profonde de Marie-Julie.
Il
lui en demanda les causes. Tout d’abord, elle se déroba; mais devant
l’insistance du prêtre, elle finit par tout lui raconter.
A la
fin du récit, M. le curé de Blain se mit à genoux et unit sa prière à la
prière de la pauvre femme en larmes.
Quelques jours plus tard, c’était le crime de Sarajevo, aurore sanglante
des quatre années de guerre.
Sur
ma demande, Marie-Julie me fait le portrait de la Vierge telle qu’Elle
lui apparaît pendant ses extases.
Voici
ses paroles textuellement rapportées
" Elle a un voile de deuil sur la tête. Ce voile, qui cache le front,
retombe en arrière jusqu’à la hauteur des épaules. Elle ne le quitte
qu’en la fête de l’Assomption. Alors elle apparaît couronnée de roses !
Son manteau est rayé de bleu et parsemé de fleurs de lys. Sa robe est
blanche et parsemée d’étoiles au bas. Son manteau est fait comme une
Chappe d’Église et, au lieu d’une agrafe c’est une croix large comme
trois doigts. Elle a un sceptre à la main. Il est éclatant et brillant.
Je crois qu’il est enrichi de diamants. "
Enfin, Marie-Julie me dit que de gros nuages noirs s’amoncellent à
nouveau sur le monde.
Les
temps sont proches où il y aura beaucoup de victimes, beaucoup de
martyrs, où la guerre civile, la guerre étrangère décimeront l’Europe.
Mais
tout aussitôt, elle proclame son inébranlable confiance et, en un
langage imagé et fleuri, elle précise ses raisons d’espérer.
" Chaque soir, la Sainte Vierge a les bras chargés de bonnes œuvres.
Elle les porte comme des épis en gerbes qui vont s’épanouir rouges et
blancs dans le Coeur de Jésus. Ces bonnes œuvres font remonter la
Justice qui est prête à s’abattre. La Miséricorde l’emporte. "
Que
de choses j’aurais à ajouter encore, si je disais tout ce que j’ai
entendu pendant les quelques heures passées en tête-à-tête avec
Marie-Julie et sa vieille amie fidèle !
Mais
ce serait trop long.
Peut-être y reviendrai-je un jour, si les lecteurs du Courrier de
Saint-Nazaire en manifestent le désir...
Les
lecteurs du Courrier de Saint-Nazaire, tous ceux qui connaissent
Marie-Julie et tant d’autres encore m’exprimèrent aussitôt ce désir
qu’imprudemment peut- être, j’avais sollicité.
Entre
temps, en effet, M. le curé de Blain, m’avait arraché la promesse de ne
plus parler des événements de la Fraudais.
Je ne
donnai donc pas à la composition l’article préparé.
Cet
article le voici, puisqu'aussi bien, la mort de Marie-Julie et le
retentissement de son histoire dans la presse parisienne et régionale me
délient aujourd’hui de cette promesse.
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Melle
Imbert, fille du docteur, nous dit
La
Fraudais. ? Un tout petit village joli et reposant, et fleuri, certes,
mais, ne le sont-ils pas tous, nos villages de France. ?
Marie-Julie. ? Une humble paysanne affable et souriante et résignée ;
mais ne le sont-elles pas toutes les bonne vieilles de chez nous. ?
La
Fraudais... Marie-Julie... Noms, visages si pareils à tant d’autres,
quel charme rayonnez-vous donc autour et loin, si loin de vous. ?
Il
m’a suffi de vous prononcer, de vous évoquer ici, une fois, pour être
prise, aussitôt, dans un mystérieux engrenage. De par la volonté des
lecteurs du Courrier de Saint-Nazaire, je dois vous prononcer, vous
évoquer encore.
" Parlez-nous encore, et le plus souvent possible, de la chère
Marie-Julie " m’a-t-on demandé et de vive voix et par lettres, tant de
notre région que de toutes les provinces de France.
Et
bien soit. Mais aujourd’hui ce sera en la compagnie de Melle
Imbert-Gourbeyre, la fille de celui qui, le premier, avec toute sa foi
de catholique fervent, avec toute sa science de médecin, proclama, vers
1873, l’entière sincérité de la jeune stigmatisée.
Le
docteur Imbert-Gourbeyre, qui fut l’ami du Père Lacordaire et l’un des
membres fondateurs du Tiers-Ordre de Saint Dominique ; l’ami, aussi,
d’Ozanam, l’illustre fondateur des Conférences Saint-Vincent de Paul, a
laissé de nombreux ouvrages traitant des questions surnaturelles. Entre
autres " Les stigmatisés. ", " La stigmatisation, l’extase divine et
les miracles de Lourdes. ", " L’hypnotisme et la stigmatisation. "
Il
eut à soutenir, à ce sujet, d’ardentes polémiques, de rudes
controverses, d’abord dans Le Monde, puis dans l’Univers, de Louis
Veuillot qui, dans ses " Correspondances " fait l’éloge du savant
professeur en le désignant par le nom de " Doctimbert. "
Appelé à Blain par Mgr Fournier, Évêque de Nantes, le docteur Imbert ne
fit pas moins de quinze visites, - dont l’une dura tout un mois, - à
Marie-Julie, la stigmatisée de la Fraudais.
Depuis la mort de son père, survenue le 6 mars 1912, Melle
Imbert continue, fidèlement, ses annuelles visites. Cette année, son
séjour se prolonge, m’a-t-on dit, plus que de coutume. Comme je lui en
demande, assez indiscrètement, la raison, elle me fait cette surprenante
réponse : " Je veux être là pour fermer les yeux de Marie-Julie. "
Je
m’étonne. Certainement, Marie-Julie est très âgée. Mais il y a encore
tant de vivacité dans ses gestes, tant de jeunesse dans ses yeux ! Sans
doute, son état de santé est toujours précaire. Mais rien cependant ne
semble justifier de si précises inquiétudes
Melle
Imbert reprend - Marie-Julie a prédit sa mort en ces termes : " Ma
mort surviendra quand la grande grâce universelle aura pleuvé. " Ne
sommes-nous pas à la fin de l’année sainte. ? Et encore : " Je verrai
le commencement des grands événements, mais non pas la fin. " Le
monde n’est-il pas déjà bouleversé par des guerres et des révolutions
sanglantes ? La France, elle- même, ne souffre-t-elle pas d’une crise
morale et économique très aigue. ?
Un
silence, lourd de pensées, pèse un instant sur nous. Puis, sur un autre
ton, Melle
Imbert me recommande : " Dites bien à vos lecteurs que la simple
curiosité ne doit pas les amener à la Fraudais. Ils seraient déçus.
Marie-Julie a pour mission de prier, de souffrir pour les pécheurs et
pour les prêtres et non de renseigner sur des événements qui pourraient
intéresser ses visiteurs. Si par faveur spéciale, le cas s’est produit,
- ainsi que vous-même avez pu le constater, il demeure tout à fait
exceptionnel et isolé. "
Ceci
est une allusion à un fait dont je fus, en effet, témoin, au cours de
l’une de mes visites.
Dans
son extase, Marie-Julie prononçait de douces paroles de résignation et
d’espoir qui semblaient bien s’adresser au seul prêtre de l’assistance
dont le visage bouleversé, révélait d’ailleurs éloquemment, une émotion
profonde.
A la
fin de l’Extase, je m’approchai de lui, et, m’excusant de mon audace, je
lui posai la question qui me hantait.
" M. l’Abbé, c’est bien à vous n’est-ce pas que s’adressait, tout à
l’heure, Marie-Julie. ? "
"
Oui. Et pourtant, elle ne me connaît pas. Elle ignore le deuil cruel qui
m’a frappé. Je viens de perdre ma jeune sœur que j’aimais beaucoup. Et
j’avais tant de peine à dire d’un coeur pleinement soumis, le fiat que
mes lèvres s’efforçaient, bien pauvrement, à balbutier. "
Avant
de nous séparer, Melle
Imbert retient un instant ma main dans les siennes. Avec force, elle me
fait cette nouvelle recommandation qui, celle-là, me concerne
particulièrement.
"
Surtout, n’écrivez pas la moindre phrase élogieuse pour Marie-Julie. Il
ne faut pas que les mérites d’une vie toute de prières, de souffrances,
de sacrifices, viennent à crouler dans une pensée d’orgueil. "
J’ai
promis et je tiendrai ma promesse, bien que je ne partage pas, le moins
du monde, les craintes de Melle Imbert...
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Ce n’est
pas vrai, Thérèse Neumann n’est pas morte
Je
devais revoir Marie-Julie le 22 octobre 1939. C’était par un beau
dimanche ensoleillé. Son fauteuil avait été placé près de la porte basse
ouverte sur la clarté et la douceur du paysage familier. Elle priait,
son chapelet noir entre ses doigts décharnés. Son sourire m’accueillit
dès le seuil.
Son
visage s’était encore amenuisé et sa parole devenue de moins en moins
perceptible. Pourtant, elle me demanda des nouvelles de la guerre dont
la pensée torturante déchirait son vieux coeur usé par la souffrance.
Elle me parla de Thérèse Neumann, la stigmatisée, dont toute la presse
avait, quelques jours plus tôt, annoncé la mort.
" Ce n’est pas vrai, m’assura-t-elle. Thérèse n’est pas morte. La Sainte
Vierge me l’a dit. "
La
semaine suivante, - quel fut mon étonnement. ! - Les journaux
démentaient leur première information. Thérèse Neumann vivait toujours.
Je ne
tire de cela nulle conclusion. Je me garderai même bien de commenter ce
fait. Je le note dans toute sa simplicité, tel que je l’ai recueilli.
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Requiescat in pace
Aujourd’hui 8 mars 1941, j’ai franchi une nouvelle fois le vieux seuil
attristé par la présence toute proche du corbillard des pauvres.
Dans
la grande salle commune, des hommes, des femmes, les yeux rougis, le
chapelet aux doigts, prient à haute voix. Parmi eux, je reconnais Melle
Imbert, sur qui les sept dernières années et le chagrin semblent peser
lourdement.
La
porte vitrée est ouverte sur la petite cellule blanche où l’image de
Notre-Dame de Lourdes, éclairée par la flamme vacillante de deux
bougies, semble, elle aussi, en prière.
Le
lit est vide où le corps léger n’a pas même laissé son empreinte.
Marie-Julie repose dans le long cercueil étroit, sous le drap noir
constellé de gouttelettes brillantes d’eau bénite.
La
levée du corps est faite par M. l’abbé Segrétin, vicaire à Blain. Et
sous une pluie battante, et un vent de rafale, par des chemins noyés,
entre les haies noires où flambe pourtant l’or nouveau des ajoncs, le
silencieux cortège franchit les trois kilomètres qui séparent la
Fraudais, de Blain.
Marie-Julie qui, retenue par la souffrance, n’a pu, depuis plus de 70
ans, venir prier ici, est portée jusqu’au pied de l’autel, entre la
double fresque de saints qui orne les murs de l’église paroissiale.
La
cérémonie funèbre est présidée par M. le curé de Blain.
L’assistance recueillie, mais que les difficultés actuelles des
communications ont réduite à son minimum; le sanctuaire que le carême a
dépouillé de ses ors et de ses fleurs; le jour lui-même, tout en
grisaille, que filtrent les vitraux, redisent l’humilité, le
dépouillement, l’effacement volontaires de celle que la piété populaire
nommait la " sainte de Blain. "
Après
cette halte à l’église, l’inhumation a lieu au cimetière de Blain, où la
fragile enveloppe d’une âme fortifiée par la souffrance et la prière,
reposera dans l’attente bienheureuse de la résurrection promise.
Le
long noviciat de Marie-Julie a pris fin. Le jour tant attendu de sa
profession s’est enfin levé.
Ce
fut le 4 mars 1941.
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